"En matière d'Art, il convient de suivre la nature créatrice et de faire des quatre saisons ses compagnes. De ce que nous voyons, il n'est rien qui ne soit fleur, de ce que nous ressentons, rien qui ne soit lune."
Bashô
C'est sous le terme d'Ikebana, que l'on peut traduire literalement par "fleurs vivantes", que Kadô, la voie des fleurs, est le plus communément appelée. De loin la plus populaires des "voies du Japon", notament parmi les femmes, elle est aussi souvent pratiquée en "simple" art décoratif.
La naissance des 3 grandes écoles d'Ikebana
Cet Art de l'arrangement floral a son origine dans la pratique des offrandes aux dieux apparue au Japon avec le boudhisme chinois vers le 8e siècle, et que l'on appelle alors "kuge".
C'est le prêtre Senmu qui est le premier à codifier cet arrangement des fleurs. Celles-ci doivent être au nombre de 3, suivant la triade terre-homme-ciel, et peuvent être disposées en "tatebana" (c'est à dire verticalement, avec une fleur haute et deux plus basses) ou en "moribana" (c'est à dire horizontalement dans un plat ou un panier). La "hutte au bord d'un étang" de Senmu, "ike-no-bô" en japonais, devient par la suite le nom de l'école fondée par ses disciples.
A partir du 12e siècle, cet art des bouquets se popularise et s'étend des temples vers les maisons. C'est de cette époque que date le "Sendenshô",
un recueil codifiant une cinquantaine de types de bouquets. Au delà des techniques, un bouquet se veut alors l'expression d'un état d'esprit: entre formel ("shin"), c'est à dire strict, traditionel, symétrique, et libre ("so"), c'est à dire imprévu, spontané, assymétrique, mais toujours simple, discret, naturel, en accord avec l'esprit du Zen.
C'est ensuite au 16e siècle, qu'en réaction aux visions démesurées du Shogun Hideyoshi, que Sen no rykyu, son
maître de thé, donne une nouvelle orientation à l'art des bouquets. Le "Chabana" proné par Rikyu (litéralement "fleurs du thé") est un arrangement très simple, voire minimaliste (pouvant se réduire à une simple fleur), en accord avec l'esprit du
wabi-sabi. C'est aussi Rikyu qui introduit le style "Nageire", qui littéralement veut dire "jeté" ou "lancé".
Au 17e siècle, l'Art floral, qui prend alors le nom d'"ikebana", devient un objet de rivalité au sein dela noblesse reléguée à Kyoto. L'Ikebana connait une phase codifiée à l'extrème avec les règles de "Rikka", mais sans qu'il y ait d'apport vraiment significatif.
Tout comme le thé, l'ikebana se propage ensuite dans la classe des marchants et les écoles se multiplient avec le nombre de pratiquants, qui comptent également de plus en plus de femmes. Les styles Rikka et Nageire reviennent en faveur et donnent naissance au style Shôka, qui en est en quelque sorte la synthèse.
En réaction avec la rigidité du siècle précédent, un groupe de lettrés cherche alors à lui redonner spontanéité et poésie, en accord avec l'esthétique et la pensée chinoise. C'est ainsi que dans la deuxième moitié du 19e siècle, Unshin Ohara, qui veut renouer avec la tradition du moribana, fonde sa propre école. Il profite également de l'ouverture du Japon vers l'occident pour introduire de nouvelles fleurs.
Enfin, vers 1930, un mouvement voit le jour qui, avec le style libre "jiyûbana", vise à s'affranchir des codifications traditionnelles et à "sortir l'Ikebana du Tokonoma". C'est dans cette lignée que Sofû Teshigahara fonde alors la fameuse école Sôgetsu.
Ainsi, dès 1930, les 3 grandes écoles étaient nées, qui continuent encore de nos jours à perpétuer la tradition de l'ikebana, également au delà des frontières du Japon.
- Ikenobô: c'est l'école la plus ancienne et la plus traditionnelle, et celle pour laquelle l'Ikabana reste un exercice spirituel. Ikenobô enseigne en particulier les styles "rikka" et "shôka" et reste fidèle à la structure en triade symbolisant le ciel, la terre et l'homme.
- Ohara: plus récente, elle reste fidèle au style moribana et aux arrangements paysagers qu'elle a néanmmoins modernisés.
- Sôgetsu: la plus moderne et la plus inovatrice (voire révolutionnaire!), cette école prône la liberté non seulement dans les formes, mais également dans le choix des matériaux.
La voie des fleurs
"En réalisant un bouquet, l'ikebaniste crée un micro-monde. Ce faisant, il se reporte à la création du monde, s'identifie à l'origine, à la source de l'univers, et l'énergie qui le traverse et l'inspire dans sa création tend à mimer celle qui préside au déploiement du cosmos. Le fruit de son travail, quelque modeste qu'il soit, est un microcosme relié à l'infini du monde par des liens invisibles qui rattachent à son centre tous les points de l'univers"
A. Delaye - Les fleurs dans l'Art et la vie
En créant un ikebana, l'homme peut oublier le monde qui l'entoure et atteindre une véritable harmonie intérieure. Par rapport à un autre Art, l'Ikebana a en outre ceci de particulier qu'il utilise des matériaux naturels, que l'on cherche à garder "vivants", et qui invitent à méditer sur sa propre place en tant qu'être vivant dans l'univers. Ce qui rend ces fleurs "vivantes" est bien ce flux d'ènergie qui le traverse alors...
Objets
- Fleurs et branchages: ce sont les éléments essentiels bien sur. La qualité est plus importante que la quantité: fleurs et branchages sont choisis en fonction de la saison et de la destination de l'arrangement floral, et aussi selon des critères de fraicheur, couleurs, taille, lignes, harmonie...
- Vase: également un élement important, partie intégrante de l'oeuvre, et dépendant du style choisi. Le vase peut être en porcelaine ou en bambou, haut ou plat...
- Pique-fleur: de taille variable, cet accessoire est surtout utilisé avec un vase plat pour les styles Moribana, et permet de "tenir" les tiges ou branche en position verticale. Il doit bien sur être invisible, caché par des feuilles, une fois l'arrangement terminé...
- Sécateur: pour couper les tiges et les branchages à la dimension voulue, sans "blesser" la plante...