"La beauté d'une pièce d'habitation japonaise, produite uniquement par un jeu sur le degré d'opacité de l'ombre, se passe de tout accessoire. L'occidental, en voyant cela, est frappé par ce dépouillement et croit n'avoir à faire qu'à des murs gris dépourvus de tout ornement, interprétation parfaitement légitime de son point de vue, mais qui prouve qu'il n'a pas percé l'énigme de l'ombre."
TANIZAKI Junichiro - Eloge de l'ombre - 1933
Effectivement, pour beaucoup d'entre nous, le mystère de l'ombre reste insondable...
Simplicité et harmonie avec la nature, flexibilité et fonctionnalité sont plutôt, à nos yeux occidentaux, ce qui caractérisent les intérieurs japonais traditionnels.
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Simplicité et sobriété: c'est l'impression première : elle se retrouve d'abord au niveau architectural, dans l'articulation généralement simple des différentes pièces. Autres éléments contribuant à cette apparente simplicité: le minimalisme de la décoration et de l'ameublement, le vide suggestif déjà évoqué précédemment , ainsi que l'utilisation de matériaux naturels et sans prétention que sont le bois, la paille, le bambou, le papier et la pierre. Car effectivement, comme le note Pierre Loti dans "Madame Chrysanthème", il faut plutôt y voir "une simplicité apparente extrême dans l'ensemble, et une incroyable préciosité dans les détails infiniment petits: telle est la manière janponaise, de comprendre le luxe intérieur"...
- Harmonie avec la nature: l'utilisation de matériaux naturels, avec leurs couleurs sobres et leurs textures imparfaites, est un premier facteur de rapprochement avec la nature. De même, la symétrie étant une notion artificielle, qui n'existe pas dans la nature, l'assymétrie règne et on ne trouve pas non plus de formes trop parfaites, qui par définition sont figées et ne laisseraient aucune possibilité d'évolution. La maison japonaise intègre donc l'esprit du Wabi Sabi hérité de la voie du thé. Autre expression d'harmonie avec la nature, la maison japonaise s'intègre généralement, via une véranda, avec un jardin ou avec le paysage environnant, l'un étant le prolongement de l'autre et vice versa. Enfin à l'intérieur, les quelques éléments de décoration (peinture sur rouleau, céramique, arrangement floral...) s'accordent et varient au rythme des saisons. C'est cette conjonction d'éléments qui contribuent à l'effet généralement apaisant d'un intérieur japonais.
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Flexibilité dans l'utilisation de l'espace, expression d'un état transitoire: une même pièce à tatamis n'est pas associée à une fonction précise, et peut avoir différents usages: elle peut servir de salle à vivre ou à travailler, de salle à manger ou de chambre. Dans ce dernier cas, la table basse est poussée sur le coté et les futons, dans la journée cachés dans des grands placarts derrière des portes coulissantes, sont alors déroulés pour la nuit. L'utilisation de portes coulissantes (opaques ou à shoji), à la place de cloisons et fenêtres fixes, permet d'autre part de réduire ou d'agrandir une pièce selon les besoins, ou encore selon la saison, d'ouvrir complètement une pièce sur le jardin.
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Minimalisme: pas de "bibelot" inutile dans une maison japonaise! Ce vide si typique des intérieurs japonais donne l'impression que la maison est véritablement réduite à l'essentiel et au purement fonctionnel. L'ameublement est ainsi réduit au minimum: une table basse, quelque coussins ("zabuton"). La décoration en tant que telle est également minimale et concentrée sur l'espace du Tokonoma, cette large niche où l'on peut disposer un arrangement floral et suspendre une peinture ou une calligraphie.
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Qualité: également un héritage de la voie du thé, le choix des matériaux fait l'objet d'un soin particulier. Ce n'est pas seulement la qualité intrinsèque de chacun des matériaux qui est considérée, mais également ses qualité esthétiques, son aspect, sa texture: une poutre peut ainsi être choisie pour la beauté d'un noeud dans son bois... Un grand soin est également apporté à la construction proprement dite: les charpentiers et menuisiers japonais sont capables d'emboiter des pièces de bois parfaitement ajustées au milimètre près rendant ainsi l'usage de vis et autres clous parfaitement superflu. L'amour du détail et de la finition complête cet Art, dont le résultat est cette grande qualité qui caractérise la maison japonaise.
Voilà pour la vision théorique... En pratique néanmmoins, la maison traditionnelle telle que décrite ci-dessus a malheureusement tendance à disparaître, au profit de blocs d'appartements miniscules, remplis de laideurs (société de consommation oblige), et, pauvre Tanizaki, violemment éclairé au néon...
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A lire :
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Maisons traditionnelles du Japon
de Amy Sylvester-Katoh
photos de Shin Kimura
Editions Flammarion (2004)
Quatrième de couverture:
En marge des immenses étendues urbaines qui parsèment aujourd'hui l'archipel, l'esprit du japon vit dans ses maisons de campagne. Amy Katoh - accompagnée de Shin Kimura, l'un des photographes les plus en vue du pays - a voyagé dans un japon reculé et paisible, à la découverte de ces sanctuaires oà le temps semble s'être arrêté. L'ornementation très simple, les savoir-faire anciens, le respect de règles ancestrales recèlent toute la richesse d'une grande civilisation. En s'appuyant sur 450 splendides photos en couleurs, cet ouvrage présente les visages du japon d'hier et décrit l'évolution du mode de vie rural traditionnel. C'est un réservoir d'idées inestimable pour tous ceux qui souhaitent faire entrer la nature et la beauté dans leur vie de citadins modernes.
Egalement des mêmes auteurs (en anglais):
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Ryokan - Séjour dans le Japon traditionnel
de Gabriele Fahr-Becker - Ed. Könemann - 2001
"Dans un ryokan, le Japon traditionnel s'impose dans toute sa diversité, de l'architecture à la peinture, l'estampe et l'art du laque, en passant par la composition florale et la calligraphie, sans oublier les objets usuels, les vêtements et la cuisine raffinés. "
Effectivement, séjourner dans un ryokan, c'est à dire une auberge traditionnelle japonaise, reste aujourd'hui le moyen le plus sur pour découvrir et apprécier l'Art de vivre traditionnel japonais. Le choix du ryokan est important: généralement, il vaut mieux éviter le tout bas de gamme, qui risque de décevoir.
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